Avec ses 350 kW (environ 470 ch) de puissance contre 250 kW (335 ch) pour sa devancière et un poids réduit de 53 kg, la monoplace Gen3 de Formule E promettait un bond en avant en matière de performance. Contre toute attente, il semble que ce ne soit pas le cas.
Pour l'instant, le gain est minime : fin 2021, Edoardo Mortara avait signé le meilleur temps des essais de pré-saison avec sa Venturi, en 1'25"763. Un an plus tard, la Gen3 a été menée à un chrono de 1'25"127 par son nouveau coéquipier dans l'écurie rebaptisée Maserati, Maximilian Günther. Même associer les trois meilleurs secteurs n'aurait pas permis de passer sous la barre de 1'25.
Forcément, il y a une pointe de déception, bien que tous les acteurs du championnat se veuillent rassurants. "La Gen2, l'an dernier, était connue de toutes les équipes, et cette voiture est complètement nouvelle pour tout le monde", souligne Benoît Tréluyer, pilote de développement de la Formule E. "Il y a facilement une seconde à trouver en une saison. On verra l'an prochain, avec la même voiture, ce sera au moins une seconde plus vite sur ce circuit."
"On va probablement voir une bien plus grande différence en course, au niveau des chronos visés, car je pense que la voiture est effectivement bien plus efficiente", analyse Edoardo Mortara, la récupération d'énergie se chiffrant désormais à 40%. "Il reste donc beaucoup à découvrir. Nous étions à la fin de la Gen2 l'an dernier, avec des logiciels qui étaient peaufinés, nous exploitions les pneus quasiment au maximum de leur performance. Ce n'est pas entièrement juste de faire des comparaisons maintenant."
Edoardo Mortara (Maserati)
Stoffel Vandoorne, lui, s'attendait à de tels chronos "depuis les premiers essais" menés par son écurie en privé. "La voiture, je pense que tout le monde espérait qu'elle serait peut-être un peu plus rapide", admet le pilote DS Penske. "Après, je crois qu'il y a énormément de potentiel, notamment dans les pneus. Il y a quelques petites choses à faire avec les voitures si les règlements nous permettent d'aller plus vite, par exemple quatre roues motrices : on pourra le faire assez facilement avec le moteur à l'avant. Il y a plein de choses qui peuvent nous faire gagner du temps. Voilà, jusqu'à présent, on est plus ou moins égal à la Gen2. Je pense que c'est important dans le futur qu'on commence à faire un pas en avant en performance."
Les gommes, mentionnées par Mortara et Vandoorne, sont en effet un facteur majeur de ces performances modestes. Les pneus fournis par Hankook sont très durs par rapport aux Michelin précédents, et sont bien évidemment adaptés à toutes les conditions météo au lieu d'avoir un composé spécialisé pour le sec comme dans les autres championnats.
"Les pneus, si on veut aller dix secondes plus vite, on met des slicks et on va dix secondes plus vite", commente Norman Nato. "Ce n'est pas la philosophie du championnat : c'est le spectacle, pour les manufacturiers il faut qu'on développe des technologies que l'on puisse retranscrire sur les voitures de route, et que ça reste aussi en lien avec la planète, le schéma climatique. Si on veut aller dix secondes plus vite, tous les manufacturiers sauront le faire, mais par contre on ne sera plus dans la lignée de ce qu'est la Formule E."
Norman Nato (Nissan)
Qui part favori pour Mexico ?
Quoi qu'il en soit, les chronos étaient aussi serrés qu'à l'accoutumée lors des essais de pré-saison. Cependant, il y avait une tendance indéniable : les groupes propulseurs DS avaient le vent en poupe. Au-dessus du lot, Maximilian Günther a signé le meilleur temps de la majorité des séances de la semaine ainsi que la référence absolue en 1'25"127 avec sa Maserati à moteur DS rebadgé, suivi par Stoffel Vandoorne en 1'25"236 et Jean-Éric Vergne en 1'25"248.
"Certes, ça se passe bien", admet Günther, qui apprécie par ailleurs son nouvel environnement de travail chez Maserati, situé à quelques minutes seulement de son domicile monégasque. "Mais je pense que nous nous concentrons vraiment sur nous-mêmes et sur notre propre progression, car nous savons que c'est Valence, ce n'est pas le week-end de course. Chaque circuit au calendrier est différent."
"C'était la première fois avec les autres comme référence ; bien sûr, ça ne fait pas de mal d'être mieux placé. Mais pour moi, ce n'est pas ce qui compte en ce moment. Pour moi, ce qui compte, c'est d'apprendre autant que possible sur la voiture, car tout le monde a une énorme quantité de choses à apprendre."
"Tout le monde cherche les performances, c'est le tout début de la Gen3", ajoute un Vergne également prudent. "Peut-être que nous sommes un peu en avance, mais ça ne veut pas dire que nous sommes forcément si rapides. Je suis sûr que tout le monde va rattraper son retard, mieux comprendre la voiture. Jusque-là, tout se passe bien, nous avons une très bonne base, il faut juste tout mettre en ordre car il reste beaucoup de domaines où nous devons progresser."
Maximilian Günther (Maserati)
La domination de Günther au Circuit Ricardo Tormo n'est d'ailleurs pas source d'inquiétude pour Vandoorne. "C'est sûr qu'il fait du bon boulot, sinon il ne serait pas devant", reconnaît le Belge. "Ici, c'est Valence, ce n'est pas du tout le type de circuit où l'on roulera pendant la saison, donc ça ne veut pas toujours dire que ce sera le cas dans toute la saison. Quand tu regardes ses statistiques, il a toujours été très, très bien ici. Même avec BMW, quand il était là, je pense qu'il a fait les meilleurs chronos. Ça doit être un circuit qui lui va très, très bien. C'est aux autres d'essayer d'aller le chercher."
Derrière, c'est tout aussi serré : Jake Hughes a tourné en 1'25"284 avec sa McLaren à moteur Nissan, devançant de peu ses compatriotes Oliver Rowland (Mahindra) et Sam Bird (Jaguar). Vainqueur de la simulation de course (dont il avait arbitrairement pris le départ au second rang), Hughes est enthousiasmé par ses performances, d'autant que McLaren n'a pu faire autant d'essais que la concurrence en vertu de son statut d'équipe cliente par rapport aux motoristes.
"Je n'ai pas vraiment passé beaucoup de temps dans la voiture [avant les tests de Valence]", confirme l'Anglais. "Tous les pilotes d'usine ont bien plus roulé. J'étais donc curieux de voir comment ça allait se passer, surtout le premier jour. Mais dès mon premier run de la matinée le premier jour, j'étais déjà premier, alors c'est encourageant."
Jake Hughes (McLaren)
Pourtant, du côté de Nissan, on est nettement moins optimiste. Sacha Fenestraz s'est classé 21e sur l'ensemble de la semaine, Norman Nato septième. Les deux recrues de l'écurie basée dans l'usine sarthoise de DAMS comptent continuer à travailler d'arrache-pied pour redresser la barre.
"Nous avons trouvé du potentiel, mais ça ne va pas suffire", estime Nato. "Pour l'instant, à part bosser, bosser, bosser, parler performance, on n'a pas eu le temps de passer un peu du bon moment hors sport auto. C'est pour ça qu'au fil des courses, c'est important qu'on enclenche une bonne dynamique avec de bons résultats. Rien que de faire un top 3 [le mercredi], et de faire P1 [le jeudi], c'est anecdotique, mais l'équipe a connu deux saisons compliquées, et retrouver un peu les avant-postes, c'est ce qu'il faut pour rebooster tout le monde et pour enclencher une bonne dynamique."
"L'équipe a été beaucoup restructurée. On est conscients de là où on part, on ne part pas favoris, ça c'est sûr. Après, à nous d'essayer de créer la surprise."
Sacha Fenestraz confirme : "C'est sûr qu'on peut s'attendre à quelques courses un peu compliquées au début, encore plus moi en tant que rookie. Comme Norman dit, c'est vrai qu'on ne part pas favoris pour l'instant."
Une chose est sûre : l'incertitude règne quant à la hiérarchie que l'on verra ce week-end à l'E-Prix de Mexico, en ouverture de la neuvième saison de Formule E. "C'est bien trop difficile à prédire. Il y a plein d'équipes et de pilotes que l'on pourrait citer comme vainqueurs potentiels. Je ne pense pas que l'on puisse écarter qui que ce soit – pas un instant", estime Sam Bird. "Et s'il y a une équipe qui parvient simplement à trouver un peu de rythme et de constance, sans erreurs, elle sera toujours une concurrente très dure à battre."
Norman Nato conclut : "Je ne peux même pas vous dire qui est compétitif actuellement ; ce n'est pas parce que Maserati est très rapide [à Valence] qu'ils seront devant à Mexico. C'est la Formule E, c'est pour ça qu'on l'aime, parce qu'on ne peut pas vraiment prédire qui sera devant."
Avec Jake Boxall-Legge