Lorsqu'elle a été dévoilée, la Formule E Gen3 s'est fait remarquer par son look simpliste, insolite, et aussi futuriste à certains égards qu'old-school à d'autres. Mais c'est bien tout ce qu'il y a à l'intérieur qui est intéressant.
Contrairement à la tendance actuelle des monoplaces, ce nouveau bolide voit ses dimensions réduites par rapport à la Gen2 : il perd 18 centimètres de long (dont 13 cm d'empattement), 10 centimètres de large et 4 centimètres de haut, pour un poids réduit de 53 kg. Un moteur a été ajouté à l'avant afin d'accroître la capacité de régénération à 600 kW, pour 40% d'énergie régénérée. Avec une puissance de 350 kW contre 250 kW précédemment, la vitesse de pointe théorique passe de 280 km/h à 322 km/h.
"Les voitures sont bien plus puissantes qu'avant, mais pour l'instant, dans certaines conditions, cette puissance est assez dure à utiliser", estime António Félix da Costa, qui a rejoint l'écurie Porsche. "Je trouve ça bien pour les spectateurs. Il y aura plus d'erreurs des pilotes, ce sera plus dur de dominer cette voiture. Je pense que cela va produire de très belles courses."
En effet, le style de pilotage a évolué. "Dans les virages, on est un peu plus lent, on se focalise un peu plus sur les freinages, sur la motricité, pour essayer d'aller gagner du temps là-bas", analyse Stoffel Vandoorne, désormais chez DS Penske. "On essaie de freiner peut-être un peu plus tard, de ralentir un peu plus la voiture et de ressortir un peu mieux du virage." Avec une réaccélération malgré tout plus tardive.
"Chaque voiture que l'on pilote est différente", renchérit Norman Nato. "Piloter la Venturi et la Jaguar, des Gen2 avec des réglages différents, c'était déjà différent, alors imaginez cette voiture avec la nouvelle manière de régénérer l'énergie !"
Pour le rookie Sacha Fenestraz, la Gen3 est un baptême du feu, "beaucoup plus compliquée à piloter" que la monoplace précédente. "C'est comme conduire une monoplace normale avec des pneus slicks sous la pluie", suggère le pilote Nissan quant à la philosophie de la FE. "Tout le temps. On est sur des œufs un peu partout. Mais on est tous dans la même situation, et ce n'est pas une excuse. C'est sûr que ça rend les choses plus intéressantes, parce qu'en circuit en ville, tu n'as vraiment pas le droit à l'erreur. Tout ce qu'on a là – moins d'adhérence, plus de puissance et une voiture un peu plus légère, ça va rendre les choses difficiles."
André Lotterer (Andretti)
Et les pilotes ont dû intensifier leur préparation technique en vue de cette saison. "Le volant est très lourd, c'est pour ça qu'on voit les pilotes travailler dur à la salle de sport sur Instagram !" sourit Norman Nato. "Beaucoup de renforcement musculaire", ajoute Jean-Éric Vergne, "d'une parce que ces voitures-là [les Gen3, ndlr] sont quand même vachement dures à piloter, le volant est vraiment dur à tourner, c'est vrai. Et quand on parle avec les autres pilotes, je suis content de ne pas être le seul à penser ça. Tout le monde le pense. Tout le monde le ressent."
Le bruit impressionne
La première chose marquante au sujet de cette monoplace, depuis le bord de piste, est son bruit, qui s'éloigne de l'aspirateur et se rapproche de celui d'un avion. "Ça vient surtout du développement du groupe propulseur", explique Stoffel Vandoorne. "On a 100 kW en plus, alors forcément le moteur a changé un tout petit peu. D'un constructeur à l'autre, le bruit change un peu, ça dépend des tours moteur, ça dépend de la masse qu'ils ont mis dans le moteur, des matériaux qu'ils ont utilisés dedans."
Une aéro toujours simpliste
Du côté de l'aérodynamique, la Formule E conserve sa philosophie d'un appui très faible par rapport à d'autres monoplaces de haut niveau, et le champ du possible a même été réduit dans ce domaine.
"Le truc qui est différent, c'est que l'on a des flaps à l'avant qui ne sont plus réglables par rapport à la Gen2", commente Norman Nato. "Avant, on pouvait jouer avec l'angle en course. Maintenant, c'est fixe."
"En termes de feeling, c'est assez similaire. La Gen2 n'avait pas une aéro de fou. Je roule dans des voitures comme le LMP2 où tu as beaucoup d'aéro. Si tu demandes à un pilote qui vient de la Formule 1 ou même du LMP… Après, ce n'est pas non plus ce qui est recherché en Formule E."
Norman Nato (Nissan)
Pas de freins à l'arrière !
Norman Nato évoquait plus haut "la nouvelle manière de régénérer l'énergie". En effet, la Gen3 n'a de freins conventionnels qu'à l'avant, le freinage arrière se faisant uniquement par brake-by-wire et régénération d'énergie. Avec un moteur avant conçu par Atieva – précédemment concepteur de la batterie de la Gen2 – la capacité de régénération atteint 600 kW, contre 250 kW avec le bolide précédent.
"Le freinage est assez puissant maintenant, parce qu'on a le moteur à l'avant qui nous aide", analyse Stoffel Vandoorne. "Le freinage est presque 100% électrique. On a 600 kW de régénération maintenant. Il y a une forte puissance pour freiner la voiture, ce qui est bien. Après, au niveau de la sensation, c'est un peu différent, mais je dirais qu'il y a pas mal d'opportunités maintenant avec les logiciels, avec la cartographie que l'on fait pour les freins. Il y a plein de choses à faire, en fait."
Forcément, le style de pilotage doit être adapté. "Il y a le moteur à l'avant, le moteur arrière joue sur le freinage, et c'est très contre-intuitif par rapport à ce dont nous avons eu l'habitude toute notre vie", estime Sérgio Sette Câmara, qui évolue désormais chez NIO 333. Jean-Éric Vergne renchérit : "Pour le moment c'est un peu difficile, tu bloques très facilement les roues, mais je dois dire que c'est plutôt un bon système de freinage jusqu'à présent."
Norman Nato, lui, s'enthousiasme : "Franchement, j'ai été assez surpris quand je suis monté dans la voiture. Elle freine plutôt bien. Après, on n'est pas en ville ; on va voir en ville quand ce sera bien bosselé, je pense que ça va être compliqué, mais comme ça l'a été avec la Gen2."
Sébastien Buemi (Envision)
Cependant, une ombre demeure autour du système de freinage : plusieurs accidents survenus en essais en l'absence de freins conventionnels à l'arrière, notamment celui de Sébastien Buemi à Valence. Un système de freinage de secours devrait être mis en place dans les mois à venir.
Dans ce contexte, Stoffel Vandoorne se montre rassurant quant aux DS : "J'ai la confiance. Personnellement, je n'ai jamais eu de problèmes ou de soucis, je touche du bois. Je pense que l'équipe met plein de process dans la voiture pour être sûre qu'elle soit safe, au cas où il y aurait des problèmes, que l'on n'ait pas de soucis. Ce sont plein de sécurités dans la voiture si jamais il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, il y a les alarmes sur l'écran, plein de choses en fait. J'ai confiance en l'équipe pour faire du bon boulot là-dessus."
La batterie surmonte ses soucis
Pour concevoir une batterie adaptée à toutes ces nouveautés, la Formule E a fait confiance à Williams Advanced Engineering, qui fournissait déjà celle de la Gen1, quant c'est McLaren Applied Technologies qui était chargé de la batterie pour la Gen2 avec le soutien technique d'Atieva. Les premiers mois de tests ont été émaillés par des problèmes de fiabilité, qui ont cependant paru moins fréquents lors des essais de pré-saison à Valence.
"Je pense que nous sommes une des équipes qui ont eu le moins de soucis", estime Stoffel Vandoorne. "Nous en avons eu pendant les essais à un certain point. Dernièrement, nous n'avons pas vraiment eu beaucoup de problèmes. Je touche du bois, de nouveau ! Les tests se sont bien passés pour nous ici, nous n'avons jamais dû rester au box à cause d'un problème."
Stoffel Vandoorne (DS Penske)
"C'est sûr que dans la pitlane, il y a des équipes qui ont des problèmes. C'est toujours un peu difficile de juger si ça vient de l'équipe ou du constructeur de batterie. C'est difficile à dire. C'est sûr que la situation n'est peut-être pas optimale, mais de ce que j'ai pu comprendre, on a quand même trouvé où sont les soucis et, petit à petit, ils trouvent les solutions pour résoudre les problèmes."
Ce sont notamment les passages répétés sur les vibreurs qui peuvent entraîner des pépins au niveau de la batterie, mais Vandoorne se montre clair : "Je vais rouler comme il faut rouler. C'est une voiture de course, et je ne roulerai pas différemment parce qu'il y a des choses qui ne vont pas sur la voiture."
Et maintenant ?
La Formule E souhaite lancer cette saison la recharge rapide : un arrêt au stand obligatoire de 30 secondes, lors duquel la batterie sera rechargée à hauteur de 4 kWh par un chargeur boost. Cette nouveauté devrait arriver en cours de campagne, n'étant manifestement pas la priorité du moment.
"Il y a beaucoup de nouveautés sur cette voiture", souligne James Barclay, directeur de Jaguar Racing. "Il n'est pas secret qu'il y a clairement un certain nombre de problèmes qui doivent être complètement résolus. C'est pragmatique de trouver le bon moment pour mettre en place [la recharge rapide]. Ce qui est vraiment important, c'est que nous maîtrisions vraiment tout avant de rajouter autre chose. Le timing de sa mise en place est vraiment critique, il faut que nous ayons l'assurance que ça ne va pas complexifier les choses."
Quant à Stoffel Vandoorne, il se prend même à espérer une Formule E à quatre roues motrices dans un avenir pas si lointain, ce qui pourrait selon lui être fait "assez facilement" grâce à la présence du moteur avant : "Il faut voir comment ça fonctionne, si la fiabilité est là. Je pense qu'on a une année où les réglementations sont figées, et il y a les opportunités de tester. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire pour la saison prochaine."