Avec l'assouplissement à venir des normes en matière d'homologation des véhicules, le retrofit devrait rapidement prendre son essor en France. Le retrofit, c'est la conversion des véhicules thermiques en voitures électriques, en remplaçant simplement le moteur, la boîte de vitesses et l'échappement par un moteur électrique et un pack de batteries. 'Simplement' est un grand mot, puisque ça requiert toutefois un savoir-faire que de nombreuses start-up sont en train de développer en France.

Parmi elles, Phoenix Mobility est une entreprise basée à Grenoble, cofondée par cinq étudiants de l'Ense(École Nationale Supérieure de l'Énergie, l'Eau et l'Environnement). Quatreingénieurs font partie du lot, dont Wadie Maaninou, PDG de la start-up, avec qui nous avons pu nous entretenir sur les origines de l'entreprise, les constats qui ont mené à sa création, mais aussi ses volontés de développement et l'espoir placé en une certaine amélioration de la précarité écologique et sociale contre laquelle il faut une transition.

"Le constat, c'est qu'il y a un milliard de véhicules sur terre, et donc une urgence à passer vers la mobilité propre", explique Wadie Maaninou. "Le marché en France et en Europe peine à décoller et il garde une certaine incohérence car demain, si on veut passer à l'électrique, on ne peut pas se permettre de jeter un milliard de voitures et d'en refabriquer autant. On veut faire des voitures avec une motorisation neuve pour prolonger leur vie et ne pas en faire des carcasses roulantes. Il y a un impact environnemental puisqu'on économise des ressources et du CO2, et social car on donne accès à des voitures pas trop chères."

Retrofit - Phoenix Mobility

"C'est plus l'aspect environnemental et écologique qui nous motivait, on est tous des ingénieurs issus de la même promo, et dans une génération où les étudiants des grandes écoles se posaient des questions sur leur avenir et le sens de leur métier plus tard. De par notre école, on a dans notre ADN cette envie de lutter contre le changement climatique et contre les problèmes écologiques. C'était l'arme parfaite pour avoir de l'impact et se battre pour faire avancer les choses dans le bon sens. Derrière, la progression de valeur est aussi sociale, pour permettre à n'importe qui de rouler avec un véhicule propre et de ne pas laisser la lutte pour l'écologie et l'environnement aux pauvres. Rouler propre ne devrait pas être un luxe, mais un droit."

L'électrique pour tous et de manière raisonnée

Phoenix Mobility explique sur son site officiel de faire preuve d'un 'usage raisonné des ressources', ce que détaille son PDG pour nous : "On essaie de mettre en place des processus à plusieurs niveaux. À l'échelle du quotidien, comme toute entreprise, on limite l'utilisation de ressources en plastique. On essaie aussi d'utiliser des composants qui n'utilisent pas de métaux sales, comme le lithium fer phosphate (LiFePO4) qui a une densité énergétique plus faible mais n'utilise pas de métaux se trouvant dans des zones géopolitiques à risque, et ne provoque pas le travail des enfants. Plus l'entreprise grossira, plus on mettra en place des process visant à avoir un impact énergétique le plus faible possible. On réfléchit aussi à la compensation des émissions carbone et on réfléchit à des solutions pour converger vers la neutralité carbone."

Sur le plan pratique, Phoenix Mobility veut se constituer avec le temps une base de données qui lui permettra, au fil du temps, de pratiquer le retrofit de manière plus rapide, et possiblement moins onéreuse, au fil du développement de la technique, mais aussi de la croissance de ses données. Pour faciliter également l'opération auprès des automobilistes, l'entreprise veut s'associer à un réseau de garagistes afin que l'opération puisse être faite sur tout le territoire, et dans un délai rapide.

Retrofit - Phoenix Mobility

"Le processus se découpe ainsi : on réceptionne un véhicule à convertir à but commercial. Une fois les étapes de prototype validées, on reçoit le véhicule, on regarde dans notre base de données s'il a été converti, si c'est le cas on a un groupe motopropulseur spécifique. On retire ensuite le moteur thermique, on remplace et on le remplace par des composants spécifiques. Il y a une phase de tests pour la charge et décharge des batteries, pour faire tourner le moteur à vide, aller vers des points critiques, puis on charge le véhicule et on le livre."

"Dans un an, on veut proposer des conversions proches de tout le monde en s'associant avec un réseau de garagistes qui permettraient de faire installer le kit en moins d'un jour pour qu'une personne puisse poser sa voiture le matin et la récupérer le soir. On rationalise pour passer de la phase de prototypage à l'industrialisation. On vise une installation en deux jours sur les modèles qu'on maîtrise, et moins d'une semaine dans tous les cas."

Et tout cela sera aussi permis grâce à la modularité du kit initial, afin de pouvoir homogénéiser les systèmes installés, quel que soit le modèle concerné : "L'idée à terme est de proposer un kit modulable, qui soit homogénéisé avec un max de modèles de véhicules ou d'un segment donné, ou de plateformes, et d'avoir un kit modulable pour l'autonomie et la puissance. Se posent les questions réglementaires qui nous limitent, mais on a comme priorité de développer ce kit modulable. D'un véhicule à l'autre, certains ne posent pas de problème, mais quand on passe sur des segments ou gammes différentes, il faut changer le moteur, le convertisseur, et ça donne des options de modularité."

De la Clio au Land Rover

Outre un prototype sur une Renault Clio, le développement des véhicules de Phoenix Mobility s'est surtout fait au Kenya, où un partenariat avec la start-up suédoise Opibus, elle aussi spécialisée dans le retrofit, a permis la conversion de Land Rover utilisés pour des safaris. Jusqu'ici, sept de ces 4x4 ont été transformés et permettent de moins troubler la quiétude des animaux, mais surtout de développer les solutions mises au point par Opibus et Phoenix Mobility, puisque les véhicules totalisent 200'000 km. De plus, ils ont pu être testés dans tous types de conditions, et leur moteur de 150 chevaux s'est avéré satisfaisant pour cet usage baroudeur.

Retrofit - Phoenix Mobility

"On commence à avoir un retour d'expérience de ces véhicules de safari, on en avait converti trois, puis six ou sept ont été faits en plus avec la start-up sur place qui faisait les conversions, et on a un retour d'expérience positif sur les composants. Ce sont les mêmes composants, utilisés au Kenya il y a un an, qu'on utilise en France. On fait vérifier régulièrement l'état des véhicules au Kenya pour faire des ajustements et vérifier leur état général. Le choix semble bon malgré des véhicules qui roulent beaucoup et dans des conditions difficiles."

Un plan bien tracé pour 2020 et après

Enfin, Wadie Maaninou nous a expliqué pourquoi l'installation des moteurs électriques se ferait dans des garages, et il précise que c'est tout autant pour assurer que le travail soit bien fait et pris en charge par un réseau, que pour aider à pérenniser le métier de garagiste, qui va subir une grande mutation : "Il y a un enjeu énorme pour le métier de garagiste, qui devra s'adapter à l'arrivée de l'électrique. Il y aura beaucoup moins de maintenance et d'usure des composants, donc de prestations, et pour pouvoir évoluer, il faudra qu'ils proposent d'autres prestations."

"Et nous, on veut mettre ça en avant pour qu'ils puissent continuer à travailler sur la durée. S'allier avec des garagistes, c'est avoir des compétences en plus. On développe des chaînes de traction mais on n'est pas des garagistes, donc s'il faut restaurer ou réparer le véhicule avant conversion, ce sera un gâchis de temps pour nous. À chacun son métier, et ça nous permet de proposer une offre complète et un SAV performant."

En attendant l'assouplissement des normes d'homologation permettant de convertir des véhicules thermiques en 'zéro émission', Phoenix Mobility continue son développement et peut désormais adapter sa solution développée sur le Land Rover à d'autres modèles, tandis que l'entreprise a reçu 4000 demandes de devis sur le site. Pour y répondre, des ingénieurs ont été recrutés cet été, trois personnes supplémentaires sont arrivées à la rentrée, et 20 employés supplémentaires seront embauchés en 2020, alors qu'une levée de fond aura lieu fin 2019.

L'an prochain, une seconde levée de fonds plus importante devrait avoir lieu dans le but d'industrialiser le concept. Phoenix Mobility a enfin pour projet de travailler avec la ville de Grenoble. Un premier véhicule, un Renault Kangoo, va être électrifié, avant de se pencher sur la possibilité d'électrifier une part plus importante du parc de la ville. Ce qui pourrait constituer un bon entraînement en vue de l'industrialisation du projet Phoenix Mobility.