Les voitures électriques sont au centre des conversations et de la communication, des pouvoirs publics comme des industriels. À tel point que beaucoup d'entre vous, d'entre nous, se demandent s'il faut y céder absolument. Mais alors qu'on semble nous pousser dans une seule et même direction, nous avons décidé de faire un focus sur la technologie hydrogène. Car la voiture à hydrogène est bel et bien considérée comme une voiture électrique. À la différence près que contrairement à l'électrique à batteries, elle souffre d'un manque évident de communication. Quid de cette alternative dont on entend beaucoup moins parler ?

Dans la première partie, nous étions revenus sur des questions techniques, sur la manière dont l'hydrogène est produit, dont il fonctionne, combien il coûte... Autant de questions que nous sommes allé poser à Philippe Boucly, président de l'AFHYPAC (Association Française pour l'Hydrogène et les Piles à Combustible)* et auxquelles il a répondu pour nous éclairer sur ce "calimero" de l'électrique. Suite de l'entretien aujourd'hui pour en apprendre plus sur l'industrialisation, mais aussi savoir pourquoi l'hydrogène n'est-il pas plus développé ? Et justement ce qui est fait, ou à faire, pour que ce soit le cas ?

Que manque-t-il à l'hydrogène pour percer ?

Philippe Boucly : Ce qui manque à l’hydrogène, c'est qu'il faut développer en même temps l’infrastructure de recharge et les véhicules. Et le problème qu’on a souvent, c’est que celui qui veut acheter un véhicule se dit 'je vais pas l’acheter parce que j’ai pas l’infrastructure de recharge', et celui qui est en charge de développer l’infrastructure se dit 'je vais pas développer l’infrastructure parce qu’il n’y a pas de véhicules'. Donc il y ce dilemme à briser. Chez nous ce dilemme a été perçu, et pour tenter de le régler, on voit apparaître des consortiums regroupant à la fois des constructeurs automobiles et des énergéticiens ou distributeurs d’énergie.

Deux exemples : le projet sur Paris, Lyon et Marseille baptisé "Last Mile" développé par Akuo Energy, Attaway, les Galeries Lafayettes et JC Decaux, pour développer des infrastructures de recharge et un pool de véhicules, 400, pour faire la logistique du dernier kilomètre. On a également un autre projet, les taxis Hype sur Paris, développé par la Société du Taxi Électrique Parisien STEP, pour développer cette infrastructure, car il y a encore trop peu de points de recharges même sur Paris. Ils ont coiffé cette société d’une holding HYSETCO, qui rassemble Toyota, Air Liquide, IDEX (énergéticien), de façon à avoir une organisation qui traite les deux, le développement en simultané des infrastructures de recharge et des véhicules.

Quel rôle peut jouer l'AFHYPAC dans ce développement ?

Nous au sein de l’AFHYPAC, nous avons un groupe de travail Mobilité Hydrogène France, qui fait la promotion du développement de flottes professionnelles. Pour le moment on ne vise pas encore les véhicules particuliers : il y en a peu, ils sont chers. On pense qu’il faut développer une première infrastructure, installer le paysage sur la base de flottes professionnelles, de sociétés et d’acteurs de la mobilité qui ont besoin soit d’un usage intensif de leurs véhicules, comme les taxis, mais aussi les chariots élévateurs, tout ce qui est logistique du dernier kilomètre. Sans oublier les charges lourdes : les bus, on a un projet de développer 1000 bus hydrogène en France, les camions, il n’y a pas encore bcp de modèles mais on a des industriels en France capables de transformer des camions et les passer à l’hydrogène, les bennes à ordures et tout ce qui est fluvial.

Pour développer l'hydrogène en France, pensez-vous qu'on doit d'abord passer par les flottes professionnelles, avant les particuliers ?

L’intérêt des flottes professionnelles, c’est que ça donne une plus grande prévisibilité. Ces technologies restent chères. Pourquoi ? Parce qu’elles restent encore relativement confidentielles. Elles sont produites en petites quantités. Il y a actuellement en France, de l’ordre de 300/400 véhicules à hydrogène en France, essentiellement des Kangoo ZE à hydrogène. Même la Mirai est produite par Toyota au plan mondial à raison de 3000 exemplaires actuellement. Ils comptent passer à 30’000 l’an prochain, mais même 30’000, pour un géant comme Toyota, c’est plus de l’artisanat, mais c’est pas non plus de la grande série.

Quels sont les principaux freins au développement de l’hydrogène ? 

Le frein principal, c’est le coût, essentiellement. Le sujet, ce sont les subventions publiques. On fait du lobbying, on fait le siège des députés, des sénateurs et cabinets ministériels pour dire "donnez de la visibilité à la filière". Ce n’est pas responsable de dire qu’on favorise une filière émergeante, et dans le même temps attendre le vote de la loi de finances de l’année suivante, vote qui intervient en décembre, pour que les industriels sachent en décembre ce qu’ils vont avoir comme crédit l’année suivante. Aucun pays ne fait ça. Récemment le 18 juillet le ministre allemand de l’Économie et de l’énergie, M. Altmaier, a publié les résultats d’un appel à projets, avec plus de 90 réponses. Ils en ont sélectionné 20, et leur ont dit qu’ils mettront 100 millions d’euros par an. C’est donc dans la durée.

Donc le frein principal c’est le coût. La réponse facile ce sont les subventions, on essaye quand même de reposer le moins possible sur les finances publiques. Il y a des aides européennes, régionales, et on souhaiterait aussi un soutien national. Pour réduire le coût, ce que nous souhaitons à l’AFHYPAC, c’est de changer d’échelle. C’est-à-dire sortir des petits démonstrateurs de petite envergure pour couvrir des régions entières. Comme le projet "Zero Emission Valley" en Rhône-Alpes : vous avez 20 stations, vous allez avoir dans les 3 années à venir 1000 véhicules, des bus… Là on commence à atteindre des échelles intéressantes et donc vous bénéficiez de gains d’échelle. Préparer un projet avec 10 véhicules ou 100 véhicules, le travail administratif de préparation du projet est presque le même; mais les bénéfices ne sont pas du tout les mêmes.

Un travail sur le coût, la massification, l’industrialisation, viser la mutualisation, des usages aussi, combiner un usage mobilité avec des usages industriels. Afin que l’écart pour atteindre une rentabilité satisfaisante soit le plus faible possible.

Pourquoi aussi peu de stations en France ?

On en a 25 actuellement. On dit toujours qu’on est en retard par rapport à l’Allemagne, qui en a 50. Mais si vous y allez, vous allez voir des stations inutilisées. Parce qu’il n’y a pas de véhicules. Il n’y a pas de complexe à avoir quant au nombre de stations en France. Ça viendra dans le cadre de baisses de coûts et de développements d’écosystèmes territoriaux.

Il y a une timidité du côté des pouvoirs publics. N’est-ce pas la même chose du côté des industriels ?

Il serait bon que chacun y mette un peu du sien. C’est la carotte et le bâton. Le soutien financier n’est pas vraiment là, mais le bâton est là avec l’urgence climatique. Il y a un certain nombre d’objectifs en matière de rejets pour les parcs de véhicules qui s’imposent aux constructeurs et qui vont les obliger à se tourner vers des solutions plus propres. Les constructeurs, français ou autres, ils y viennent. C’est même dans leur intérêt à y venir.

Exemple : Renault, on peut dire que c’est tout électrique à batterie. Sauf qu’il a quand même accompagné la conversion de son Kangoo à l’hydrogène. Ce n'est pas de grande envergure, mais au moins il ne s’y est pas opposé. PSA de son côté, jusqu’à il y a peu, 2012, a été assez en pointe dans l’hydrogène et avec sa reprise d’Opel, il a indiqué qu’il va faire du centre de Rüsselheim en Allemagne son centre d’expertise et d’excellence pour l’hydrogène pour le groupe.

Et si les constructeurs ne sortent pas de véhicules hydrogène, le risque est grand que les Chinois les sortent. Donc après c’est à eux de voir.

En Chine, il y a l’objectif d’un million de véhicules hydrogène pour 2030. Est ce que l’Europe, et plus localement la France, doivent suivre l’exemple ?

L’Europe se bouge actuellement sur la batterie avec un "Airbus de la batterie". Certains disent que c’est trop tard. J’en suis pas convaincu et je pense qu’il serait bon d’avoir une capacité de production de batteries en Europe. S’agissant de l’hydrogène, je constate que la technologie est européenne, ou américaine, ou japonaise… Elle n’est pas chinoise. Je constate que les Chinois font de l’entrisme partout pour acquérir des compétences. Ils viennent nous voir, visiter nos industriels, ils recherchent à rallier nos experts pour développer une industrie en Chine et des partenariats avec des entreprises pour acquérir du savoir-faire. En Europe, on a une certaine avance technologique. Il faut la garder. Et en faire un outil de réindustrialisation de nos pays, et notamment de la France.

Vous savez que le président Macron a lancé ce qu’il appelle le Pacte productif 2025, avec l’idée de réindustrialiser. On souhaite et on fait tout pour que l’hydrogène soit considéré comme un des moyens de réindustrialiser la France en introduisant de nouveaux métiers pour produire cette nouvelle technologie. Que ce soit des électrolyseurs, des piles à combustible, des réservoirs pour stocker l’hydrogène…

Dans la mobilité à hydrogène, des secteurs bougent-ils plus et plus vite que l’automobile ? Le ferroviaire ? Les avions ?

Je ne dirais pas ça. J’ai été personnellement surpris par l’intérêt du fluvial pour développer une mobilité fluviale propre. Voix Navigables de France, mais aussi tout l’écosystème de la navigation, souhaitent décarboner le transport fluvial. Avec l’intérêt des Métropoles : exemple en Île-de-France où l’on veut revitaliser l’axe Seine qui perd des parts de marché vis-à-vis de l’autoroute A13. C’est paradoxal dans la période actuelle. Pas seulement avec de l’hydrogène d’ailleurs, mais aussi d’autres énergies propres, comme le biométhane.

L’autre je m’y attendais un peu et j’aurais été surpris si ça ne se faisait pas : le ferroviaire. On a un beau fleuron, Alstom, qui a développé une belle chaîne de traction hydrogène à Tarbes, en France, et qui, pour des raisons d’un plus fort dynamisme régional et national en Allemagne, a fait construire son premier train hydrogène là-bas. Mais le savoir-faire hydrogène est en France. Mais compte tenu de cette expérience en Allemagne, on a bon espoir qu’à l’horizon 2023, il arrive chez nous. Madame Borne, ministre des Transports, voulait un train hydrogène avant la fin du quinquennat. C’est serré. Mais c’est réaliste pour juste après. À noter que ce ne sera pas une simple adaptation du train allemand, mais ce sera un train français, adapté au réseau français. Les trains seront bi-énergie : la SNCF et les régions souhaitent que les trains puissent continuer à utiliser l’énergie du réseau quand disponible, et rouler à l’hydrogène quand le réseau n’est pas électrifié. Il y a un vrai élan dans le ferroviaire.

Dans l’aérien, il y a des travaux sur les auxiliaires de puissance, utilisés pour tout ce qui est cuisine, climatisation, chauffage, et permettrait de déconnecter l’énergie de propulsion de l’énergie utilisée à bord. Permettrait d’optimiser séparément ces deux domaines avec des économies de carburant à la clé. Ça permettrait de commencer à décarboner le transport aérien. Et puis il y a les engins de pistes dans les aéroports.

Concernant les véhicules utilitaires légers, ça va se développer avec de nouveaux modèles qui arrivent. Pour le moment on avait que le Kangoo ZE, à l’automne on va avoir un Renault Master hydrogène sur base du Master électrique. Et puis il va y avoir les Peugeot et Citroën Expert et Jumpy avec une version électrique l’an prochain, et en hydrogène en 2021. Et il y a une filiale de Renault, TVI, qui travaille sur l’adaptation de poids-lourds à l’hydrogène, notamment pour les bennes à ordure.

Outre l’aspect qualité de l’air, il ne faut pas négliger l’aspect bruit. Et il y a un besoin des collectivités pour avoir des engins non bruyants de façon à developper des services et des usages la nuit. Deux exemples : le fret de nuit, et les entreprises de travaux publics, qui doivent déblayer des chantiers, et qui seraient désireuses de travailler 24/24 avec des véhicules silencieux.

La compétition a-t-elle un rôle pédagogique à jouer dans la démocratisation de l’hydrogène ?

L’hydrogène va rentrer dans la compétition. Ça va être un facteur important dans l’évolution des technologies. Je discutais avec Pierre Fillon (président de l’ACO) sur l’hydrogène en 2024, avec la voiture Mission H24, et de la question du remplissage. Ça paraît idiot mais le fait d’avoir un remplissage rapide va entraîner des évolutions nécessaires des systèmes actuels et ça va améliorer les technologies pour les particuliers à terme. Les constructeurs vont être mis en concurrence, ce qui va également permettre d’augmenter la fiabilité. Et d’une manière générale, ça va permettre de planter l’hydrogène dans le paysage.

Quelles sont les prochaines étapes du développement de l’hydrogène en France ? À quelle échéance ?

L’une des étapes majeures à venir c’est de s’appliquer à convaincre les gouvernants que l’hydrogène a aussi sa place dans la transition énergétique et que la filière a besoin de soutien. De leur côté, les constructeurs doivent continuer ou commencer à développer des produits. Quant aux collectivités, elles peuvent jouer le rôle d’agrégateur en globalisant la demande et réunir suffisamment d’acteurs et de volume pour que les prix commencent à baisser. De quoi aider au financement de la filière et lui faire prendre de l’ampleur.

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*AFHYPAC - Avec plus de 150 membres, l’AFHYPAC regroupe les acteurs de la filière Hydrogène en France, qu'il s'agisse d'entreprises, de laboratoires et d'instituts de recherche, pôles de compétitivité, collectivités territoriales, associations régionales...  Le but étant d'accélérer le développement de solutions hydrogène au bénéfice de la transition énergétique et de la société.