Les voitures électriques. Un sujet dans l'air du temps auquel personne ne peut échapper. Pouvoirs publics, industriels, tout le monde semble converger vers le tout électrique. Au moins le tout batteries, car on parle bien ici de véhicules à batteries. Les Tesla, Renault Zoé, Nissan Leaf et autres Audi e-tron sont toutes sur ce modèle qui pose nombre de problèmes. Aussi bien sur l'industrialisation que sur le recyclage. Pourtant, il existe des alternatives dont le grand public n'a peu, voire pas entendu parler. À moins évidemment d'avoir une sensibilité pour la chose automobile.

Aujourd'hui, focus sur l'hydrogène. On en entend parler de plus en plus souvent. Mais saviez-vous seulement que la voiture à hydrogène est aussi une voiture électrique ? Une technologie que nous vous exposons dans cet article et qui souffre d'un déficit de communication dans le buzz ambiant autour de l'électrique. 

Pour nous aider à y voir plus clair, nous sommes allé interroger Philippe Boucly, président de l'AFHYPAC, Association Française pour l'Hydrogène et les Piles à Combustible*. L'occasion de battre en brèche certaines idées reçues, mieux comprendre cette technologie et les problématiques qui l'accompagnent !

Hyundai Nexo FCV

On entend de plus en plus parler d’hydrogène. Question simple : l’heure de l’hydrogène est-elle venue ?

Philippe Boucly : C’est une question qu’on me pose souvent. Et je crois que l’heure est venue pour 3 raisons : l’urgence climatique, la baisse des coûts des énergies renouvelables, baisse drastique, facteur 10 en 10 ans sur le solaire et éolien, et la baisse des coûts des technologies de l’hydrogène. Tout ça fait que l’hydrogène est maintenant une technologie qui apparaît comme intéressante et présente beaucoup d’avantages. Qui doit s’intégrer dans l’ensemble des systèmes énergétiques et apparaître comme une solution aux cotés d’autres solutions.

Par rapport à l’électrique à batteries, quels sont les avantages et inconvénients de l’hydrogène ?

La mobilité hydrogène est une mobilité électrique. La seule différence c’est que l’énergie (se stocke) à bord sous forme d’hydrogène. On a par conséquent le meilleur des deux mondes par rapport à la mobilité thermique. C'est-à-dire un remplissage en très peu de temps, ce qui n’est pas le cas avec la batterie, et une grande autonomie. Ce qui n'est pas le cas non plus des batteries. Mais ça a les mêmes avantages que la batterie: c’est silencieux et ça n’émet rien.

Pour ce qui est des inconvénients, il y a les coûts des composants. Mais aussi le coût de l’hydrogène.

Quelles sont les différentes manières de produire de l'hydrogène ?

La moins propre, enfin la plus sale, c’est la façon traditionnelle, par vaporéformage. Vous cassez la molécule de méthane avec de la vapeur d’eau dans de grandes unités, en général à côté des raffineries. Le seul problème, et pas des moindres, c’est que pour faire 1 kg d’hydrogène, vous utilisez 10 kilos de gaz carbonique. Donc on sent que c’est pas très vertueux. Et 95 % de l’hydrogène produit en France actuellement l’est de cette manière.

Il existe plusieurs solutions : par électrolyse de l’eau, donc vous cassez la molécule d’eau avec un courant électrique, et vous produisez donc de l’oxygène et de l’hydrogène. C’est vertueux, pour autant que votre électricité est propre : il faut 55 kWh pour faire 1 kilo d’hydrogène. En France, le mix électrique est de l’ordre de 50 à 70 grammes de CO2 / kWh. Donc pour 1 kilo d’hydrogène, vous faites de l’ordre de 2,5 à 4 kilos de CO2. En Allemagne, c’est dix fois plus. En Chine c’est vingt fois plus, c’est presque 1 kg de CO2 par kWh produit. Donc je dirais qu’en Allemagne ou en Chine, il est presque plus vertueux de faire votre hydrogène par vaporéformage que par électricité.

Mais ça n’empêche pas les Allemands et les Chinois de travailler sur ces technologies. Ils savent qu’ils ne sont pas propre, mais dans le même temps, ils développent ces énergies renouvelables, et un jour ils seront propre avec à la fois de l’électricité propre et des technologies hydrogène. Parce qu’en France, il y a aussi des voix qui s’élèvent pour dire "l’hydrogène c’est bien, mais il faut que ce soit propre, et comme il n’est pas propre pour le moment, retournez à vos études et on verra plus tard". En pensant comme ça, on va prendre un retard qu’on ne rattrapera pas. Et en plus en France on a cette chance d’avoir cet hydrogène pas carbone, grâce au parc hydraulique et au parc nucléaire.

Autre façon de produire, c’est par la biomasse, avec un procédé au nom un peu barbare, la pyrogasification. Pour faire simple, c’est refaire des usines à gaz, sauf que la charge c’est pas du charbon mais de la biomasse. Et vous sortez un mélange hydrogène/monoxyde de carbone qu’on peut faire évoluer vers de l’hydrogène pur. Et puis on peut aussi faire du vaporéformage non pas de gaz naturel fossile, mais de biométhane. Donc renouvelable.

Toyota Mirai

Comment mesure-t-ton l'autonomie d'un véhicule à hydrogène?

Pour un véhicule utilitaire léger, il faut compter 1 kg d’hydrogène aux 100 km. Une Toyota Mirai embarque environ 5 kg, donc 500 kilomètres d'autonomie. Un bus c’est 8/9 kg aux 100 km. Le bus de l'entreprise Safra, basé à Albi, embarque 30 kilos d’hydrogène.

Combien ça coûte de produire et de rouler à l'hydrogène ?

Avec le vaporéformage, on sort de l’hydrogène à 1,5 €, maximum 2 € du kilo. Par électrolyse, vous le sortez à 6 à 8 € du kilo. Ça c’est en sortie d’unité de production. Donc avec le coût d’exploitation de la station qui s’y ajoute, l’hydrogène est vendu généralement entre 10 et 15 € / kilo. On aime bien 10 €/ kilo parce que ça fait quasiment la parité avec le diesel. La seule différence c’est que le diesel paye des taxes, l’hydrogène n’en paye pas. Parce qu’avec 10 € du kilo, ça fait 10 € pour 100 kilomètres. Et avec une voiture particulière, c’est 6 à 7 litres / 100 km, donc à 1,5 €, vous êtes aussi dans les 10 € aux 100 km.

Il s’agit donc maintenant de travailler à baisser ce coût de l’hydrogène, de façon à ce qu’il y ait de la place pour des taxes, parce que ça viendra un jour. Et le jour où ça viendra, c’est que l’hydrogène aura pris sa place, qu’on aura gagné !

- Concernant la sécurité, il y a parfois des idées préconçues concernant les voitures à hydrogène. Si une voiture à hydrogène à un accident, qu’est ce qu’il se passe ?

La sécurité est quelque chose qui est regardé de très très près pour l’hydrogène. Il s’agit d’énergie. Toute énergie est dangereuse. L’important pour les professionnels, c’est de maîtriser les risques. Pour y arriver, on prend un soin tout particulier à la sécurité dans la conception même des systèmes. Dans la Hyundai iX35, dans l’habitacle il y a par exemple trois détecteurs d’hydrogène, des fois qu’il y ait des fuites.

Ces véhicules sont homologués depuis décembre 2011, ils ont franchi toutes les étapes. Le réservoir sur une Mirai est à 700 bars. Il a dû être testé à 2000 bars avec des coefficients de sécurité proches de trois. Il a été testé avec des impacts de kalachnikovs. Il est doté d’un fusible thermique : quand la température ambiante dépasse 110°C, le fusible fond et le gaz part à l’atmosphère. Les pompiers sont à l’aise avec les véhicules à hydrogène, plus qu’avec un véhicule à batterie, presque impossible à éteindre. Les pompiers français sont très avancés sur le sujet d'ailleurs, à l’image de l’Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs Pompiers, à Aix en Provence, qui ont une compétence mondiale pour l’extinction des feux à hydrogène. Un feu d’hydrogène n’est pas spectaculaire, la flamme est transparente. Elle est très dangereuse. Donc les pompiers utilisent des caméras thermiques pour voir la flamme.

Qu'en est-il des parkings souterrains ?

Il y a un sujet qu’on n'a pas complètement réglé en France : celui des parkings souterrains. Ce n’est pas interdit, mais la Sécurité Civile a sorti un texte qui dit qu’il n’est pas recommandé de garer un véhicule hydrogène dans un parking sous-terrain. C’est une recommandation. C’est pas interdit. En résumé, c’est dangereux, comme toute autre énergie, c’est maîtrisé, c’est connu des spécialistes, et il y a encore quelques sujets à traiter.

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*AFHYPAC - Avec plus de 150 membres, l’AFHYPAC regroupe les acteurs de la filière Hydrogène en France, qu'il s'agisse d'entreprises, de laboratoires et d'instituts de recherche, pôles de compétitivité, collectivités territoriales, associations régionales...  Le but étant d'accélérer le développement de solutions hydrogène au bénéfice de la transition énergétique et de la société.